La nuit était si noire que la rue en avait prit la couleur. De Lune, cette nuit, il n'y en avait pas. Ou peut-être était-elle dissimulée derrière les nuages ? Soit, on ne la voyait pas, et l'artère principal du coin le plus mal famé d'Ipswish semblait encore plus sombre et dangereux que d'habitude. Mais comment une simple ruelle de mauvais quartier pouvait paraître dangereuse, à celle qui incarnait elle-même le danger ?
[...]
Dans la ruelle, un petit bruit constant résonnant, et un homme complètement ivre, le perçut. Face au cul-de-sac, à l'entrée de la rue, se dessinait peu à peu une silhouette, ma silhouette fine et gracieuse. Mais pas seulement. La femme que j'étais dégageait surtout un aura de cruauté, bien que je n'eus encore rien fait. Tout, dans ma posture, dans mon attitude, dans mon regard, dans ma manière de m'habiller, indiquait qu'il ne valait mieux pas m'emm*rder. Malheureusement pour lui, l'homme, trop soûl pour comprendre qu'il valait mieux pour lui qu'il passe son chemin, commençait à un peu trop s'intéresser à moi. Alors que je passais à côté de lui, perchée sur des talons aussi hauts et fins que d'immenses aiguilles, l'ivrogne eut la malheureuse idée de m'adresser la parole, ce que, bien évidemment, je considérai comme un manque de respect au plus haut point.
- Hé ! Hé ! pailla-t-il. Hé, m'demoiselle ! Vous voudriez pas prendre un verre 'vec moi ?
Je fit volte-face, et lui lançai un regard perçant. J'évaluai l'homme du regard, cherchant à deviner s'il serait intéressant ou non. Petit, vieux, bedonnant et gras. Il portait un costume, faisant un peu chic. Il devait travailler dans une de ces boîtes renommées, où les hommes se croient beaux et puissants parce qu'ils manipulent un peu plus d'argent que la plupart des gens. Apparemment, celui-ci avait quelques soucis, car il était complètement soûl. Peut-être sa femme avait-elle découvert qu'il la trompait ? Ou alors sa maîtresse lui avait annoncé qu'elle était enceinte ? J'eus un ricanement, amusée par ces histoires idiotes, ce que l'ivrogne prit pour un bon signe. Il se releva péniblement, tanguant légèrement sur ses jambes grassouillettes, et fit quelques pas vers moi. J'avais terriblement envie de m'amuser, et décidai donc de lui faire croire jusqu'aux derniers instants qu'il avait sa chance. L'homme tendait les bras vers ce qu'il croyait être sa nouvelle conquête. Il avait ce sourire, qui montrait qu'il se croyait invincible, que personne ne pouvait lui résister. Pour lui, j'étais déjà assurée comme son coup de ce soir. Je lui adressai un sourire aguicheur, auquel il répondit par un rire gras, ses yeux fixés sur ma poitrine et ses mains en suivant perversement la direction.
Au moment où ses mains potelées allaient toucher à leur but -ici, ma poitrine-, mes doigts aux ongles effilés comme des griffes vinrent agripper ses poignets. Je l'envoyai se fracasser contre un mur, puis l'y rejoignit en quelques secondes. J'approchai mon visage du sien, comme pour l'embrasser, et glissa mes mains derrière sa nuque. Alors que mes lèvres étaient à seulement quelques millimètres des siennes, je donnai un coup sec sur sa nuque, et celle-ci se brisa avec un bruit sec.
- Oui, j'prendrai bien un verre... susurrai-je, mais de ton sang, pauvre imbécile !
J'inclinai la tête vers son cou tordu dans un angle étrange, et y plantai mes dents. le sang dégoulina le long de mon menton, et alla ruisseler sur le béton. Environ une heure passa, une heure où je me régalai. Cet homme avait beau être incroyablement gras et pervers, son sang était des plus raffinés que j'eus connus. Un goût amer, et à la fois tellement fruité que je faillis tourner de l'œil à la première gorgée. Quand l'ivrogne fut presque vidé de son sang, je léchai avec délice mes doigts rougis. Avant de quitter la ruelle, je jetai un dernier regard au corps sans vie qui gisait dans le caniveau. Les eaux sales rougeoyaient de son sang, et son visage était plus pâle que jamais. Ses yeux gardaient l'expression de surprise qu'il avait eue, entre le moment où je l'avait jeté contre le mur, et celui où j'avais brisé sa nuque. Quand on le retrouverai, tout le monde saurait que June était revenue... Pour parfaire le tableau, je ramassai quelques gouttes de son sang et traçai quelques mots sur la pierre nue du mur. "
Dead is back... you know who's the Dead...". J'eus un rire sans joie, puis abandonnai le corps inerte dans la ruelle.
En arrivant dans l'artère principale de ce fameux coin mal famé, j'aperçus une silhouette qui ressemblait étrangement à la mienne, et dégageait cette aura de cruauté propre aux vampires. Dans la brume, je lui adressai un sourire entendu, que je savais qu'elle verrait. Mon acolyte avait senti les effluves du sang de l'homme, et cela l'avait attirée ici. Je ne savais si cet autre vampire était homme ou femme, quoi qu'il en était, je le rejoignis, à l'autre bout de la rue, et attendit qu'il ou elle réagisse.